TROIS JOURS DE LA VIE D'UN RESISTANT
PREMIER CONTACT AVEC LE LABORATOIRE
"C'est décidé, j'entre dans la Résistance. Je le réalise vraiment en montant les six étages de l'immeuble rue des St Pères. C'est ma première journée, et mon accompagnateur va me montrer mon lieu de travail, ma nouvelle demeure. Il ouvre la porte d'une petite chambre de bonne où j'aperçois deux jeunes filles, un jeune homme et deux longues tables sur lesquelles sont posées des piles de cartes. En m'approchant, je vois que ce sont des cartes d'identité et d'alimentation tamponnées en rouge avec les caractères suivants : J U I F. La première jeune fille, Susie, a fait les beaux-arts, elle est chargée de recolorier aux crayons de couleur, changer les noms et vernir les cartes après la décoloration dont s'occupe Nénuphar qui elle, est chimiste. C'est cette dernière qui va m'expliquer les méthodes de travail : "On décolore à l'eau de Javel bouillante, à l'eau oxygénée et au corrector". Eau de Javel, eau de Javel ce mot ne fait qu'un tour dans ma tête. De l'eau de Javel bouillante ? Mais avec les émanations d'acide urique degagées par l'organisme, l'encre va réapparaître en jaune Une discussion s'ensuit. Plus tard, ayant apprécié mes connaissances elle décide de faire de moi le nouveau résponsable technique du laboratoire. Cela l'arrange car son souhait est d'aller sur le terrain amener les enfants juifs dans des planques."
UNE JOURNEE "NORMALE"
"Une journée normale, autant que peut l'être une journée dans un laboratoire secret de la résistance, c'est par exemple quand j'ai été prévenu qu'il y allait avoir une rafle dans la nuit. On m'a confié une liste de personnes à contacter. Avec une valise remplie de faux papiers, de tampons et de tout le matériel nécessaire pour faire de nouvelles cartes, je suis parti. La rafle allait avoir lieu dans le quartier de Belleville. Je montais, descendais, remontais des escaliers, expliquais aux gens qu'il fallait m'écouter, que je n'étais pas dangereux, qu'ils leur fallait de nouvelles pièces d'identité, qu'il était nécessaire de partir de chez eux. Mais je me heurtais souvent à des refus. Les gens étaient en règle, ne voulaient pas voir le péril, ne souhaitaient pas partir, d'ailleurs partir pour aller où ? Quand chacun a été informé, je me suis arrêté dans une cabine téléphonique pour qu'on me donne de nouveaux noms, de nouvelles adresses. J'ai continué sans m'apercevoir qu'il était vingt-trois heures, l'heure du couvre-feu, que les rondes des policiers allemands allaient commencer et que je n'étais ni chez moi, ni près de chez moi. J'ai donc décidé de finir ma liste et de rentrer ensuite. Je suis arrivé chez moi à une heure du matin, mais, évidemment, à cette heure personne ne m'a ouvert la porte. J'ai donc passé cette nuit froide sous une porte cochère cherchant le sommeil malgré les chats qui fouillaient les poubelles. Et le lendemain matin à huit heures : laboratoire."
Faux tampons réalisés par Adolfo Kaminsky.
LA LIBERATION DE PARIS
"En août 44 des rumeurs se propagent dans la ville et un jour, le 25, Paris est enfin libre. Je suis prévenu qu'on n'a plus besoin de mes services au laboratoire et que je peux reprendre une vie normale, ou essayer d'apprendre ce que c'est. Je décide de me rendre utile. Je sors, je marche dans Paris et, arrivé au passage St André-des-arts je vois plein de gens en train de courir. Ce sont des étudiants en médecine. Je me fais présenter à leur chef, le docteur Escoffie, et je m'engage comme brancardier. Après m'avoir appris ainsi qu'à d'autres les rudiments du métier (comment faire un garrot, une piqûre, etc.), il forme des équipes. Nous sommes trois équipiers pour un brancard. Nous marchons a travers Paris à la recherche de blessés, car on entend de nombreux coups de feu. On aperçoit un homme couché sur le sol. Je m'approche de lui, il a la jambe en sang, il a dégoupillé une grenade et l'a gardée dans sa poche... Je fais mon premier garrot. Un peu plus tard, alors que l'on transporte un officier allemand inanimé, un homme ivre s'approche et dit : " Je veux en tuer un, je veux en tuer un ! ". Je m'élance sur lui et le désarme. Nous ramenons le blessé au sous-sol de l'école de médecine où les étudiants activent une dynamo en pédalant sur des cadres de vélo pour fournir l'électricité nécessaire aux premières opérations.
Après ce jour de joie collective viendront des moments pénibles. Des êtres chers ont disparu ou sont morts. Je ne sais pas où aller. "